Agathe Anglionin est architecte, curatrice et critique d’Art.

> 12 et 13 octobre 2024 au Qu4tre, à Argenteuil

Exposition de 50 dessins et peintures issus de la conception de 6 percepts : Récifs, Cristobal, Racines carrées, Guyanes, Chair à charbon et Blaaak.
Le Qu4tre est situé à Argenteuil, dans des anciens entrepôts ayant appartenu à la SNCF et réhabilités en lofts d’habitation et ateliers d’artistes.

L’exposition est réalisée dans le cadre de ses portes ouvertes annuelles. 

REGARD

Agathe Anglionin - Curatrice et critique d'Art

Née d’une fascination pour les codes, l’œuvre de Rémi Balligand s’inscrit dans une quête esthétique marquant son empreinte dans le domaine des pratiques conceptuelles en peinture. Son travail s’étend à l’exploration des forces invisibles qui régissent le réel, dépassant le cadre de la simple pratique picturale. Il se situe davantage sur le terrain de l’expérimentation que sur celui de la peinture pour elle-même, explorant à la fois les aspects formels et métaphysiques de son art. Il en résulte une œuvre à la fois méditative et faussement minimaliste. Elle oscille entre l’organique et le géométrique, entre l’élégance des formes naturelles et la rigueur des lignes anguleuses, dans une diversité de formats et de textures subtiles venant enrichir l’expérience visuelle. Toutefois, leur simplicité apparente cache en profondeur une complexité sous-jacente.

Rémi Balligand procède toujours par une représentation graphique pour accéder ensuite à la structure qui sous-tend la forme, en tenant compte des conditions initiales de perception que celle-ci révèle à la lumière. Cette démarche est présente dans le percept Blaaak, qui sert de fondement à la série Éclipse. Cette série se caractérise par une surface composée d’un ultra noir, à partir duquel émergent le dessin et la matière, avant de se déployer dans d’autres œuvres associées. A première vue, ces créations peuvent évoquer des constructions inspirées par des procédés mathématiques, tels que des tableaux réalisés à partir de fils tendus entre des clous ou des dessins de points reliés selon des suites numériques. Cependant, la comparaison s’arrête là. Il s’agit avant tout de dessins géométriques visant à réduire les motifs à leur essence, en éliminant toute profondeur et illusion de perspective. Cela aboutit à des surfaces épurées, semblant issues d’une programmation algorithmique.

De même, les œuvres de la série La Matrice, inspirées de la nature et composées d’arborescences – facettes de charbon, racines, coraux, cristaux, ramures végétales ou entrelacs animaliers – présentent des motifs récurrents que l’on pourrait observer à des échelles de plus en plus fines. Elles évoquent des créations générées par un logiciel de géométrie fractale ou révélées par une observation au microscope. A travers ces explorations structurelles, l’artiste suggère l’impossibilité d’accéder directement au cœur de son sujet, à moins de pouvoir en déchiffrer le code. Il s’agit une quête quasi-mystique de la beauté du monde, qui, selon l’artiste, ne se révèlent qu’à ceux qui en possèdent les clés.

Ainsi, le travail de Rémi Balligand ne se réduit pas à la simple surface. S’il accorde une importance particulière à la matérialité plastique dans son travail, c’est notamment en raison de leur rapport à la profondeur, aux aspects innervés, rhizomatiques et imbriqués, souvent dissimulés, et échappant à une observation superficielle. Chacune de ses œuvres métaphorisent une horizontalité latente, capable de relier en profondeur les éléments que les dessins de l’artiste représentent connectés en surface. L’idée est de transcender la simple dimension organique du vivant pour explorer la notion de code qui l’englobe.

Surgissent alors des questionnements : comment accéder à la beauté du monde au-delà des simples percepts ? Comment la découvrir dans sa véritable essence si elle ne se révèle qu’à travers les sens ? Cela nécessite de dépasser une approche purement sensualiste, qui se limiterait à la simple expérience sensorielle, pour accéder à une compréhension plus profonde, nécessitant une interprétation codée du réel. Ainsi, l’artiste envisage le monde comme le produit d’algorithmes complexes, une perspective qui relève d’un empirisme logique s’inscrivant dans une double tradition philosophique, celle du rationalisme et celle de l’empirisme.

Richard Leydier est critique d’art et commissaire d’expositions, il vt et travaille à Paris. Il a organisé, entre autres, Visions – Peinture en France au Grand Palais (Paris, 2006, dans le cadre de la Force de l’art), Robert Combas, Greatest Hits (2012, au Musée d’art contemporain de Lyon), ou encore la Dernière vague – surf, skate et custom cultures dans l’art contemporain (2013, à la Friche Belle de Mai, Marseille, dans le cadre de Marseille-Provence 2013 Capitale européenne de la culture). Il a aussi un temps dirigé le Frac (Fonds Régional d’Art Contemporain) du Nord-Pas de Calais, à Dunkerque.

> Du 29 mars au 1er Avril 2024 au presbytère de Cormeilles (Eure)

Exposition de 50 dessins et peintures issus de la conception de 5 percepts : Récifs, Cristobal, Racines carrées, Guyanes et Chair à charbon.
Situé sur les hauteurs de la commune Rue Sainte-Croix, le Presbytère offre une vue dégagée sur le paysage normand et les toits d’ardoise du village de Cormeilles. Le bâtiment, date de 1762 et a été totalement rénové en 2020. 

CRITIQUE

Richard Leydier - Critique d’Art et commissaire d’expositions

Il y a quelque chose d’encyclopédique dans l’art de Rémi Balligand. Comme une tentative de rassembler sous les auspices d’une même logique les fragments épars du monde. D’accorder ensemble des sonorités discordantes. Il a trouvé dans une idée deleuzienne, le percept, une manière de réinjecter un peu de cohérence dans un univers en apparence quelque peu déphasé, mais qui révèle une beauté particulièrement organisée lorsqu’on plonge au cœur de la matière.

En somme, le percept est ce qui est perçu par les sens, par opposition au concept, qui relève de l’intellect. Les figures se décomposent en effet d’une manière similaire selon l’ordre auquel elles appartiennent.

Leur structure est rhizomatique, on constate en effet que l’arborescence règne quel que soit l’ordre : le corail, les racines, les facettes du charbon, les paillettes du cristal, ou les ramures végétales.

Les réseaux innervent les corps à la manière de veines ou d’artères. Entre les récifs maritimes, la forêt ou les entrailles de la terre, la vie se fraye toujours un chemin.

Et ce chemin s’insinue dans des formes diverses. Sur le papier où les cercles composés évoquent des cultures laborantines de bactéries en boîtes de Pétri, ou bien lorsque les corps dessinent des mouvements dansés, toujours dans un équilibre qu’on imagine précaire. Ces corps se déclinent dans des tableaux, tandis que la troisième dimension est abordée sous la forme de sculptures dans l’espace mais aussi en bas-relief, bois gravés qui sont comme des épidermes tatoués en profondeur.

Cet art tire vers la musique et l’astrophysique et comme il ne cesse de relier entre eux des domaines qu’on pensait étanches, il semble recéler des développements infinis.